mardi 8 février 2011

Avoir ce qui nous est dû

Depuis quelque temps, les francophones de la vallée du Kennebecasis demandent la construction d’une école française dans leur région pour les élèves plus jeunes. La lettre qui suite, publiée le 21 janvier dernier dans le Telegraph Journal, semble y faire allusion. La traduction est de moi.

Il est naturel que les francophones de la vallée désirent avoir une école locale française. Qui ne voudrait pas une école ou un hôpital à deux pas de chez soi? La vérité est qu’un grand nombre d'élèves, francophones et anglophones, voyagent beaucoup plus loin pour fréquenter l’école dans de nombreuses régions de la province que ceux qui doivent se rendre à Saint-Jean.

Le bilinguisme n’était pas censé créer la dualité au sein du gouvernement, mais nous avons le vrai dualisme (sic) en éducation et une dualité en devenir pour ce qui est des soins de santé.

Les résidants de langue française de la vallée devraient faire des pressions pour une nouvelle école auprès de leur district scolaire, et non auprès des élus ou du gouvernement provincial. Ils pourraient demander à l’ancien ministre Donald Arsenault d’expliquer pourquoi une nouvelle école française (a été construite) à Balmoral, même si les écoles existantes de la région manquent de clients. Les ressources dépensées dans la vallée le seront aux dépens d'un autre projet, tout comme cela a été le cas pour l'école de Balmoral. Le sentiment du « tout m’est dû » est bien vivant dans notre province, et c'est souvent « tout pour moi, à tout prix ».

Nous devons pleinement accepter le dualisme (sic) et les systèmes distincts en enseignement, et financer le tout selon un taux par élève afin d’assurer l'égalité. Cela permettra aux différents groupes d'investir les fonds pour l'éducation de la façon qu’ils considèrent la plus avantageuse.

Je suis perturbé par la baisse de la population dans les communautés rurales anglophones, mais cela m'attriste davantage de voir la dépopulation des les villages traditionnels acadiens.

La langue n'est pas la culture, et il ne nous est aucunement avantageux de permettre à ce mensonge d'exister.

La lettre est signée Tom Hickie, de Fredericton. Bon, où commencer?

M. Hickie semble croire qu’il est naturel que les élèves aient à se déplacer sur de grandes distances pour fréquenter l’école. C’est malheureusement le cas dans bien des régions. Cependant, cela dépend de bien des facteurs.

Par exemple, dans la région s’étendant de Sainte-Anne-de-Madawaska à Edmundston, il n'y a qu'une seule école anglaise, la Saint Mary’s Academy, située à Edmundston. Étant donné que les étudiants anglais dans cette région de la province sont rares et que la grande majorité d’entre eux se trouvent dans la région immédiate d’Edmundston, c’est tout à fait logique. Imaginez que l’on essaie de faire la même chose avec tous les élèves francophones de cette région. Pour l’instant, ce serait impensable étant donné que les écoles dans les plus petites collectivités continuent d’accueillir des élèves en quantités suffisantes, et il est logique que les plus jeunes aillent à l'école le plus près possible de chez eux.

Si un jour ces écoles du Madawaska se dépeuplaient de façon significative, il faudrait revoir la situation. C’est déjà la situation dans bien des petites écoles de la Péninsule acadienne (l’est du comté de Gloucester). Il est fort probable qu’un grand nombre d’écoles devront fermer. Mais dans la vallée de la Kennebecasis, c’est l’inverse qui se produit. Si le nombre d’élèves le justifie, on devrait pouvoir au moins y construire une école élémentaire.

Plus loin dans sa lettre, M. Hickie finit par accepter que la dualité est nécessaire pour le système scolaire de sorte que chaque groupe linguistique puisse voir aux programmes éducatifs de leurs élèves respectifs. Toutefois, sa suggestion que les parents fassent des pressions auprès du district scolaire plutôt qu’auprès des élus est, pour dire le moins, mal réfléchie. Les districts ne font rien de plus que de gérer les écoles qui leur sont confiées. Pour faire construire une école, il faut le concours du gouvernement provincial.

M. Hickie semble croire que tout le monde connaît la situation de l'école de Balmoral. Je ne suis pas de ce nombre. Cependant, il est difficile de nier que lorsque des fonds sont affectés à un projet donné, ils ne peuvent plus servir à autre chose. Mais comme on l’a si souvent entendu, gouverner exige que l’on fasse des choix. L’on peut bien s’élever contre le sentiment du « tout m’est dû ». Mais pourquoi croire que c’est à tout prix? Pourquoi ne pas reconnaître ainsi la contribution des francophones de la vallée au trésor provincial?

« La langue n'est pas la culture, … » Voilà un débat philosophique intéressant auquel je dois malheureusement me limiter à présenter ma vision des choses. Ann Duncan est professeure agrégée de l'éducation à l’Université du Tennessee à Martin, et donne des cours qui traitent de questions multiculturelles éducation. Elle offre une série de définitions de la culture sur ce site. Si l'on regarde ces définitions, on en ressort les thèmes communs suivants :

• La culture comprend des hypothèses, des croyances, des pratiques, des attitudes et des perceptions.
• Entre autres, la culture se manifeste dans les comportements, les habitudes, les symboles, les institutions et les valeurs.

Si la culture comprend les perceptions et les croyances, nous devons admettre que ces perceptions etcroyances sont généralement accumulées et communiquées de façon linguistique. Même une peinture ou un dessin sont issus de la pensée d'un artiste qui, sans doute, est influencé par sa culture, et sa culture est façonnée en partie par sa langue. Même les sourds qui utilisent le langage gestuel ont une culture qui est façonnée par leur mode de communication.

Nous entendons souvent parler d'une déclaration ou d'un texte dont le sens « se perd dans la traduction ». Puisque les langues ne sont jamais créées avec la traduction à l'esprit, il n'existe aucun processus pour s'assurer que les deux langues se développent de façon complémentaire l’une par rapport à l'autre. Par conséquent, il y a parfois des concepts qui ne peuvent pas être facilement rendus dans une autre langue, et la traduction sera toujours approximative.

En fait, un bon exemple de cela est le mot anglais « entitlement », un mot qui revient souvent dans la version originale de la lettre de M. Hickie. En français, on parlerait de « ce qui revient de droit ». Je traduis l’expression par une définition parce que le français ne semble pas disposer d’expression qui traduit bien le mot « entitlement ». À moins, bien sûr, de parler des domaines spécifiques comme le droit et les assurances…

La langue façonne la culture et vice versa. C'est peut-être la meilleure preuve que la déclaration de M. Hickie concernant la langue et la culture est fausse. La langue et la culture ne sont pas, en soi, la même chose. Toutefois, elles sont si inextricablement liées l’un à l’autre qu’elles ne pourraient pas fonctionner isolément.