Pourquoi ne pas simplement défendre la laïcité? Voilà le thème d'une conférence prononcée par Russel Blackford de Atheist Alliance International, que l’on peut consulter sur le site Web de embiggenbooks.com. La question se pose à savoir pourquoi nous devrions critiquer la religion plutôt que de promouvoir les avantages de la laïcité.
La réponse courte donnée par M. Blackford est que si la religion n'est pas contestée dans la société, l’idée de la liberté de religion – qui comprend le droit d’être libre de toute religion – ne captera l’attention de personne. Si tout le monde accepte que la religion a un pouvoir épistémique et morale, pourquoi alors chercher à s’en libérer? De nombreuses personnes et organisations religieuses refusent d'accepter la logique de la laïcité. Elles ne comprennent pas qu’elles ne devraient pas essayer de convaincre le gouvernement d'imposer leurs dogmes. L'histoire a montré que pour nous protéger de la religion, nous devons pouvoir la critiquer. M. Blackford nous présente ensuite un mini cours d’histoire pour illustrer son point.
Au fil du temps, le christianisme est passé d'une religion persécutée à une religion persécutrice et a été la cause de la destruction synagogues et de temples païens, en plus de s'attaquer aux formes de christianisme non orthodoxe. Les actions de Martin Luther ont mené à un mouvement protestant que l'orthodoxie n’a pu réprimer. Des millions de personnes sont mortes dans toute l'Europe dans les guerres de religion entre protestants et catholiques, dont des millions rien qu'en France au cours de la Guerre de Trente Ans.
La religion a été un dénominateur commun d’un grand nombre de luttes politiques en Europe, même lorsqu’il ne s’agissait pas de guerres religieuses en soi. Une des raisons qui expliquent la déportation des Acadiens à partir de 1755 a été leur refus de renoncer au catholicisme, ce qui les rendait suspects aux yeux des autorités britanniques.
Au 17e siècle, les philosophes ont sérieusement étudié la relation entre la religion et l'État. En 1689, John Locke a souligné que les groupes religieux tentent souvent de s’accaparer du pouvoir civil et que cela peut être la cause de la violence entre différentes religions. Si le gouvernement civil pouvait tolérer l’existence d’églises concurrentes et ne s’occuper que des questions d’ordre civil, la religion n’aurait d’autre choix que de se replier. Le gouvernement doit s’abstenir de persécuter les religions et prévenir que les sectes rivales s’attaquent l’une à l’autre. La mission de l’Église est de sauver les âmes pour l'au-delà. La mission de l'État est d'assurer l'ordre public dans le monde d’ici-bas et éviter de déclarer que l’une ou l’autre des religions est la « bonne ».
Depuis 1689, l’idée fait son chemin, mais sans pour autant qu’elle soit appliquée complètement, même aux États-Unis, qui est pourtant perçu comme l’exemple par excellence d’un pays où règne le mur de séparation entre l’Église et l’État. Locke lui-même n'était pas prêt à pousser sa déclaration jusqu’à sa conclusion logique. Par exemple, il croyait qu'il était acceptable de persécuter les athées, les Catholiques et les Musulmans. Les athées, selon lui, ne croient pas en l'au-delà et on ne peut donc pas se fier à leurs serments. Les Catholiques sont séditieux puisque leur loyauté première est envers le Vatican. Et la première loyauté d’un Musulman est envers l'Empire ottoman. Locke ne se rendait pas compte que ces personnes peuvent être de très bons citoyens du pays où ils vivent. (Il ne s’est pas rendu compte non plus que les gais et les lesbiennes peuvent être de bons citoyens même si ces personnes ont un type de sexualité différent du sien.)
Pourtant, l'idée générale a germé. La persécution religieuse ne devait être ni exercée ni tolérée par l'État. Toute mesure gouvernementale contre la religion et toute mesure législative d'origine ou d'inspiration religieuse devait avoir un but laïc légitime. L'État ne devait s’occuper que de la vie, de la santé, de la propriété et d’autres choses de ce monde.
Les églises se disent en faveur de la séparation entre l'Église et l'État, mais cela ne les empêche pas d’essayer de convaincre l'État d’imposer leurs dogmes. Le Vatican estime toujours que l'État doit faire respecter le « droit moral » – sa version, bien sûr. Les églises s’attendent encore à ce que l'État impose leurs lois morales, ce qu’elles appellent la « loi naturelle ».
Par conséquent, nous devons être en mesure de critiquer la religion en vue de nous assurer que l'État continue de s'occuper seulement des choses de ce monde. Promouvoir la sécularisation n'est pas suffisant. Si personne ne s'oppose activement à la religion, la liberté d’exercer ou de ne pas exercer de religion n'a aucun fondement. Il doit être légitime de s'opposer à la religion.
Si une église tente d’influencer le gouvernement en prétendant avoir une autorité morale, nous devons pouvoir contester leur position et représenter la population non croyante. Comme Blackford l’a fait remarquer, d'où vient cette autorité dont l'Église se vante? L’Église l’a-t-elle méritée? Les autorités religieuses sont-elles vraiment expertes en matière de moralité?
Modifié le 30 septembre 2010 pour assurer une meilleure harmonie entre les versions française et anglaise. :)
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