Article en anglais : http://www.cbc.ca/canada/new-brunswick/story/2010/11/19/nb-st-george-assault-1222.html.
Le présent article du blog restera affiché jusqu'à ce que l'on prouve que l'article est faux ou que la collectivité de St. George fasse le nécessaire afin d'éviter que de tels actes se reproduisent.
Le danger, ce n'est pas ce que l'on ignore; c'est ce que l'on tient pour certain, mais qui ne l'est pas. -- Mark Twain
vendredi 19 novembre 2010
vendredi 12 novembre 2010
Par ici, la passerelle
Avant de passer à mon commentaire principal, voici un peu de contexte. Au Québec, les immigrants doivent inscrire leurs enfants dans les écoles françaises. En principe, les seuls enfants qui peuvent fréquenter les écoles anglaises publiques (financées entièrement par le gouvernement provincial) sont ceux et celles dont au moins un parent a fait ses études en anglais au Canada. Ceux qui viennent de l'extérieur du Québec doivent avoir déjà été inscrits dans une école anglaise ailleurs au Canada avant de déménager à Québec, ou avoir une sœur ou un frère qui était inscrit dans une école anglaise avant le déménagement. Dans chaque cas, au moins un des parents doit être citoyen canadien, à moins que le parent ait été scolarisé en anglais au Québec.
L'objectif est de faire en sorte que tous les immigrants qui s’établissent au Québec envoient leurs enfants à l'école française. En raison d’une échappatoire, certaines personnes dont les enfants ne sont pas normalement admissibles à l'enseignement en anglais au Québec envoyaient leurs enfants à des écoles anglaises privées pour un an. Après cela, les enfants étaient admis dans les écoles publiques anglaises. Le gouvernement provincial a adopté une loi pour mettre fin à cette pratique, mais la loi a été déclarée inconstitutionnelle. Plutôt que d'utiliser la « clause nonobstant », tel qu’il est prévu dans la Charte des droits et des libertés, le gouvernement du Québec a récemment choisi d'adopter le projet de loi 115, qui établit des critères plus sévères pour l’admission des enfants à l'école anglaise de cette manière.
Voilà pour la mise en contexte. Passons à mon commentaire :
On a toujours dit aux écrivains en herbe qu’il valait mieux écrire à propos de ce que l’on connait. Tasha Kheiriddin est Montréalaise, donc Québécoise, et devrait alors connaître le Québec et son système d’éducation. Mais on dirait que ce ne soit pas le cas. Un éditorial du National Post signé par Mme Kheiriddin et intitulé Quebec chooses language purity over prosperity (« le Québec préfère la pureté linguistique à la prospérité ») en est un bon exemple. En voici un extrait que j’ai pris la liberté de traduire :
Contrairement à Mme Kheiriddin, je ne suis pas Québécois et mes connaissances sur le Québec sont limitées. Mais en cette belle époque d’Internet, les renseignements sont plutôt faciles à obtenir afin de pouvoir avoir l’heure juste sur une question. Dans ce cas, j’ai consulté une page Internet du gouvernement québécois qui porte sur la question de l’éducation, et j’y ai trouvé les règles décrites ci-dessus. Évidemment, la question de la citoyenneté canadienne est alors d’une importance capitale. Comme pour bien des choses, la citoyenneté entraîne des privilèges. Bien des immigrants restent longtemps des résidants permanents avant d’obtenir la citoyenneté. Si le déménagement du parent au Québec est inévitable pour des raisons d’emploi ou autre, il est vrai que cela puisse avoir des conséquences pour l’éducation de l’enfant.
Et pourtant, il s’agit là d’une vision plutôt bornée. Combien d’enfants anglophones du Canada resteront unilingues parce qu’ils n’ont pas la chance de côtoyer des francophones et de recevoir une éducation en français? Je veux bien comprendre que l’on n’aime pas que le rendement scolaire souffre lorsqu’un déménagement dans une région de culture et de langues différentes est inévitable. Mais il faudrait alors faire le procès du système scolaire qui résume les apprentissages et les expériences éducatives à une série de notes. Lorsque l’on fait l’examen du rendement d’un employé, l’on ne parle pas seulement de choses quantifiables, comme le nombre de pneus posés ou de mots traduits. Il y a aussi les choses qui ne sont pas quantifiables, comme les relations avec les clients et les collègues de travail, et la capacité de régler des problèmes. On pourrait bien faire la même chose à l’école, non?
Mais revenons au sujet…
Que veut dire Tasha Kheiriddin lorsqu’elle écrit que les immigrants qui arrivent au Québec d’une autre région du Canada ne peuvent pas faire éduquer leurs enfants dans la langue de leur choix? Pour Mme Kheiriddin, « langue de leur choix » est un code qui signifie « anglais ». Sinon, il y aurait sûrement eu des écoles publiques polonaises et russes en Ontario, et des écoles ukrainiennes au Manitoba. Car, si les immigrants de la France arrivent en Alberta ou en Ontario, Mme Kheiriddin sera sans doute ravie de leur offrir l’occasion de s’éduquer en anglais.
Dans bon nombre de provinces, n’entre pas qui le veut à l’école française. Au Nouveau-Brunswick, pour qu’une élève puisse être inscrite à l’école française, elle doit être francophone, avoir un parent francophone, ou être ni francophone ni anglophone. Dans d’autres provinces, les critères pourraient être encore plus restrictifs. Alors, pourquoi s’indigner du fait que le Québec applique le même principe à l’égard de l’anglais?
Et pourquoi une éducation en français ne permet-elle pas aux enfants de faire face au monde? Croit-elle que l’éducation en français est inférieure à l’éducation anglaise? Pourquoi? Et de quelle façon?
L’idée principale de l’éditorial est que le projet de loi 115 qui a été adopté tout récemment a des failles. Là-dessus, même les francophones sont d’accord, bien que ce soit pour des raisons différentes. Mais Mme Kheiriddin s’insurge contre la création d’un autre niveau de bureaucratie pour appliquer une loi qui, à son avis, fait savoir aux personnes non francophones qu’elles ne sont pas les bienvenues au Québec. Que l’on n’aime pas la bureaucratie au Québec, on a le droit. Que l’on suppose qu’une nouvelle loi entraînera automatiquement une nouvelle bureaucratie, on a le droit aussi, bien qu’il faille ensuite le prouver. Que l’on dise que cela signifie que les nouveaux arrivants ne sont pas les bienvenus s’ils ne parlent pas le français, c’est autre chose. Le Canada impose, comme condition d’entrée au pays, que les immigrants connaissent l’une ou l’autre des deux langues officielles ou s’engagent à apprendre l’une d’elles. Si le Canada peut imposer une telle condition, pourquoi le Québec ne peut-il pas imposer des conditions concernant les écoles publiques?
Plus loin, Mme Kheiriddin se plaint de l’infrastructure municipale qui se dégrade et les temps d’attente dans les hôpitaux qui n’en finissent plus. Elle est d’avis qu’il serait mieux d’investir l’argent qui servira à l’application de la Loi 115 à améliorer l’infrastructure et à régler le problème des temps d’attente. Mais ce n’est pas seulement le Québec qui est aux prises avec de tels problèmes. Que devrait éliminer le gouvernement ontarien afin d’améliorer enfin l’infrastructure municipale d’Ottawa et de Toronto?
Mme Kheiriddin décrit cela comme étant une préférence de la pureté linguistique aux dépens de la prospérité économique. (Il faudrait, d’ailleurs, définir « pureté linguistique », mais passons…) Ce qu’elle ne dit pas c’est pourquoi l’une doit nécessairement empêcher l’autre. L’éditorialiste ne semble pas accepter la possibilité que les deux puissent coexister et même être complémentaires. Elle dit aussi que le Québec se prive de jeunes immigrants en appliquant sa politique linguistique à une époque où la population est vieillissante. Que dire alors de l’Espagne, du Mexique, de la Suède, de l’Allemagne, de l’Italie, du Brésil? Si l’on déménage dans un nouveau pays, il faut bien apprendre la langue en usage. Et si l’on déménage dans une nouvelle province, il faut bien apprendre la langue en usage dans cette région également.
Enfin, elle s’insurge contre les paiements de péréquation que reçoit le Québec malgré sa politique linguistique. Elle dit que les garderies à sept dollars par jour et le service de fertilisation in vitro gratuite sont offertes seulement parce que le Québec reçoit ces paiements. Or, si c’était une province anglophone qui appliquait une version anglaise de la Charte de la langue française et qui offrait des services de garde à sept dollars par jour, est-ce qu’elle fustigerait cette province aussi?
Les deux solitudes existent toujours. Et certaines personnes et institutions semblent décidées à assurer leur existence.
L'objectif est de faire en sorte que tous les immigrants qui s’établissent au Québec envoient leurs enfants à l'école française. En raison d’une échappatoire, certaines personnes dont les enfants ne sont pas normalement admissibles à l'enseignement en anglais au Québec envoyaient leurs enfants à des écoles anglaises privées pour un an. Après cela, les enfants étaient admis dans les écoles publiques anglaises. Le gouvernement provincial a adopté une loi pour mettre fin à cette pratique, mais la loi a été déclarée inconstitutionnelle. Plutôt que d'utiliser la « clause nonobstant », tel qu’il est prévu dans la Charte des droits et des libertés, le gouvernement du Québec a récemment choisi d'adopter le projet de loi 115, qui établit des critères plus sévères pour l’admission des enfants à l'école anglaise de cette manière.
Voilà pour la mise en contexte. Passons à mon commentaire :
On a toujours dit aux écrivains en herbe qu’il valait mieux écrire à propos de ce que l’on connait. Tasha Kheiriddin est Montréalaise, donc Québécoise, et devrait alors connaître le Québec et son système d’éducation. Mais on dirait que ce ne soit pas le cas. Un éditorial du National Post signé par Mme Kheiriddin et intitulé Quebec chooses language purity over prosperity (« le Québec préfère la pureté linguistique à la prospérité ») en est un bon exemple. En voici un extrait que j’ai pris la liberté de traduire :
« Mais quand il est question des enfants, les choses changent. Les parents veulent préparer leurs enfants à se mesurer au monde, et non seulement à la province. Si leurs enfants ont déjà été éduqués ailleurs en anglais, les placer à l'école française pourrait avoir des conséquences non seulement pour leurs compétences linguistiques, mais aussi pour leurs notes dans toutes les matières. Sachant à quel point la plupart des immigrants valorisent l'éducation, c'est un risque que beaucoup ne veulent pas prendre. Et pour les immigrants qui proviennent d’ailleurs au Canada et qui s’établissent au Québec, il est carrément discriminatoire qu’ils puissent se déplacer à l’intérieur de leur nouveau pays mais qu’ils ne peuvent pas ensuite inscrire leurs enfants à l’école dans la langue de leur choix. »
Contrairement à Mme Kheiriddin, je ne suis pas Québécois et mes connaissances sur le Québec sont limitées. Mais en cette belle époque d’Internet, les renseignements sont plutôt faciles à obtenir afin de pouvoir avoir l’heure juste sur une question. Dans ce cas, j’ai consulté une page Internet du gouvernement québécois qui porte sur la question de l’éducation, et j’y ai trouvé les règles décrites ci-dessus. Évidemment, la question de la citoyenneté canadienne est alors d’une importance capitale. Comme pour bien des choses, la citoyenneté entraîne des privilèges. Bien des immigrants restent longtemps des résidants permanents avant d’obtenir la citoyenneté. Si le déménagement du parent au Québec est inévitable pour des raisons d’emploi ou autre, il est vrai que cela puisse avoir des conséquences pour l’éducation de l’enfant.
Et pourtant, il s’agit là d’une vision plutôt bornée. Combien d’enfants anglophones du Canada resteront unilingues parce qu’ils n’ont pas la chance de côtoyer des francophones et de recevoir une éducation en français? Je veux bien comprendre que l’on n’aime pas que le rendement scolaire souffre lorsqu’un déménagement dans une région de culture et de langues différentes est inévitable. Mais il faudrait alors faire le procès du système scolaire qui résume les apprentissages et les expériences éducatives à une série de notes. Lorsque l’on fait l’examen du rendement d’un employé, l’on ne parle pas seulement de choses quantifiables, comme le nombre de pneus posés ou de mots traduits. Il y a aussi les choses qui ne sont pas quantifiables, comme les relations avec les clients et les collègues de travail, et la capacité de régler des problèmes. On pourrait bien faire la même chose à l’école, non?
Mais revenons au sujet…
Que veut dire Tasha Kheiriddin lorsqu’elle écrit que les immigrants qui arrivent au Québec d’une autre région du Canada ne peuvent pas faire éduquer leurs enfants dans la langue de leur choix? Pour Mme Kheiriddin, « langue de leur choix » est un code qui signifie « anglais ». Sinon, il y aurait sûrement eu des écoles publiques polonaises et russes en Ontario, et des écoles ukrainiennes au Manitoba. Car, si les immigrants de la France arrivent en Alberta ou en Ontario, Mme Kheiriddin sera sans doute ravie de leur offrir l’occasion de s’éduquer en anglais.
Dans bon nombre de provinces, n’entre pas qui le veut à l’école française. Au Nouveau-Brunswick, pour qu’une élève puisse être inscrite à l’école française, elle doit être francophone, avoir un parent francophone, ou être ni francophone ni anglophone. Dans d’autres provinces, les critères pourraient être encore plus restrictifs. Alors, pourquoi s’indigner du fait que le Québec applique le même principe à l’égard de l’anglais?
Et pourquoi une éducation en français ne permet-elle pas aux enfants de faire face au monde? Croit-elle que l’éducation en français est inférieure à l’éducation anglaise? Pourquoi? Et de quelle façon?
L’idée principale de l’éditorial est que le projet de loi 115 qui a été adopté tout récemment a des failles. Là-dessus, même les francophones sont d’accord, bien que ce soit pour des raisons différentes. Mais Mme Kheiriddin s’insurge contre la création d’un autre niveau de bureaucratie pour appliquer une loi qui, à son avis, fait savoir aux personnes non francophones qu’elles ne sont pas les bienvenues au Québec. Que l’on n’aime pas la bureaucratie au Québec, on a le droit. Que l’on suppose qu’une nouvelle loi entraînera automatiquement une nouvelle bureaucratie, on a le droit aussi, bien qu’il faille ensuite le prouver. Que l’on dise que cela signifie que les nouveaux arrivants ne sont pas les bienvenus s’ils ne parlent pas le français, c’est autre chose. Le Canada impose, comme condition d’entrée au pays, que les immigrants connaissent l’une ou l’autre des deux langues officielles ou s’engagent à apprendre l’une d’elles. Si le Canada peut imposer une telle condition, pourquoi le Québec ne peut-il pas imposer des conditions concernant les écoles publiques?
Plus loin, Mme Kheiriddin se plaint de l’infrastructure municipale qui se dégrade et les temps d’attente dans les hôpitaux qui n’en finissent plus. Elle est d’avis qu’il serait mieux d’investir l’argent qui servira à l’application de la Loi 115 à améliorer l’infrastructure et à régler le problème des temps d’attente. Mais ce n’est pas seulement le Québec qui est aux prises avec de tels problèmes. Que devrait éliminer le gouvernement ontarien afin d’améliorer enfin l’infrastructure municipale d’Ottawa et de Toronto?
Mme Kheiriddin décrit cela comme étant une préférence de la pureté linguistique aux dépens de la prospérité économique. (Il faudrait, d’ailleurs, définir « pureté linguistique », mais passons…) Ce qu’elle ne dit pas c’est pourquoi l’une doit nécessairement empêcher l’autre. L’éditorialiste ne semble pas accepter la possibilité que les deux puissent coexister et même être complémentaires. Elle dit aussi que le Québec se prive de jeunes immigrants en appliquant sa politique linguistique à une époque où la population est vieillissante. Que dire alors de l’Espagne, du Mexique, de la Suède, de l’Allemagne, de l’Italie, du Brésil? Si l’on déménage dans un nouveau pays, il faut bien apprendre la langue en usage. Et si l’on déménage dans une nouvelle province, il faut bien apprendre la langue en usage dans cette région également.
Enfin, elle s’insurge contre les paiements de péréquation que reçoit le Québec malgré sa politique linguistique. Elle dit que les garderies à sept dollars par jour et le service de fertilisation in vitro gratuite sont offertes seulement parce que le Québec reçoit ces paiements. Or, si c’était une province anglophone qui appliquait une version anglaise de la Charte de la langue française et qui offrait des services de garde à sept dollars par jour, est-ce qu’elle fustigerait cette province aussi?
Les deux solitudes existent toujours. Et certaines personnes et institutions semblent décidées à assurer leur existence.
mercredi 10 novembre 2010
Crise alimentaire
Il y a quelques semaines j’écoutais un reportage à Radio-Canada, dans le cadre de l’émission La semaine verte, sur la crise alimentaire mondiale à venir. Il a été question, entre autres, de la culture du Jatropha Curcas en Inde, bien qu’il m’a fallu un peu de temps pour bien cerner le nom de cette plante. (Pendant l’émission, on parlait de « jatrophe ».)
S’agit-il de l’aliment miracle qui permettra à tous de manger à leur faim? Loin de là! Il s’agit plutôt d’une plante qui, pendant un certain temps, semblait prometteur comme source de biocarburant. Contrairement aux plantes comestibles, comme le maïs, le Jatropha Curcas est toxique. On se pose la question à savoir si la culture du maïs pour la production énergétique est morale étant donné nos besoins en alimentation à prix abordable. La question ne se pose pas pour les plantes non comestibles comme le Jatropha Curcas.
Or, dans le reportage, on apprend que la culture du Jatropha Curcas entraîne tout de même un questionnement moral d’un autre ordre. Dans une région de Chhattisgarh, en Inde, vivent 18 familles auxquelles une terre en propriété collective a été arrachée par les autorités. Les familles ne peuvent plus y faire pousser leur nourriture et ne peuvent ni se nourrir elles-mêmes ni nourrir leur bétail. Elles dépendent maintenant de dons alimentaires.
Ces familles voient peu les avantages d’une plante comme le Jatropha Curcas. La plante n’est est toxique autant pour elles que pour leurs animaux, elle ne peut pas servir au chauffage, et comme aucune des familles n’a de voiture motorisée, elles ne leur sert pas non plus comme carburant. Bref, la plante ne leur sert pas.
Les autorités prévoyaient faire la culture dans des terres dites « infertiles et dégradées », car on disait à l’époque que la plante nécessitait moins d’eau et pouvait pousser presque n’importe où. Le problème est qu’un grand nombre de régions que l’on disait arides et semi-arides étaient en fait habités et exploités par des communautés locales et autochtones. On a souvent fait usage de force à l’endroit de populations vulnérables, violant ainsi leur droit à la subsistance.
Il y a aussi toute la question de la disparition d’une culture humaine. Ces gens vivaient de la terre depuis au moins des décennies, peut-être même des siècles. En leur arrachant la terre et le droit de s’en servir pour vivre, on met fin à une véritable tradition. Ce n’est pas le prix de la modernité, car la modernité permet d’améliorer la production sans mettre en péril un mode de vie. Dans ce cas-ci, le mode de vie a été carrément chambardé parce que d’autres y voyaient une occasion de faire beaucoup d’argent.
Or, le comble est que l’expérience semble vouée à un certain échec. Oui, la plante peut pousser dans des terres moins fertiles, mais son rendement n’est pas à la hauteur des attentes. « Il ne s’agit pas d’une culture friche. Il lui faut de l'engrais, de l'eau et une bonne gestion », peut-on lire à son égard dans un autre reportage sur Internet.
Dans le même reportage, on parlait de Sénégalais qui faisaient la pêche au large des côtes du pays. Le seul outil moderne du pêcheur sénégalais était un moteur hors-bord. Mais la pêche n’était pas tellement abondante en raison des grands navires de pêche provenant d’autres pays et ayant les moyens de prendre plus de poissons à la fois. Lorsque la prochaine génération aura atteint la maturité, restera-t-il quelqu’un pour apprendre aux jeunes comment pêcher selon cette méthode traditionnelle? Le cas échéant, restera-t-il du poisson?
S’agit-il de l’aliment miracle qui permettra à tous de manger à leur faim? Loin de là! Il s’agit plutôt d’une plante qui, pendant un certain temps, semblait prometteur comme source de biocarburant. Contrairement aux plantes comestibles, comme le maïs, le Jatropha Curcas est toxique. On se pose la question à savoir si la culture du maïs pour la production énergétique est morale étant donné nos besoins en alimentation à prix abordable. La question ne se pose pas pour les plantes non comestibles comme le Jatropha Curcas.
Or, dans le reportage, on apprend que la culture du Jatropha Curcas entraîne tout de même un questionnement moral d’un autre ordre. Dans une région de Chhattisgarh, en Inde, vivent 18 familles auxquelles une terre en propriété collective a été arrachée par les autorités. Les familles ne peuvent plus y faire pousser leur nourriture et ne peuvent ni se nourrir elles-mêmes ni nourrir leur bétail. Elles dépendent maintenant de dons alimentaires.
Ces familles voient peu les avantages d’une plante comme le Jatropha Curcas. La plante n’est est toxique autant pour elles que pour leurs animaux, elle ne peut pas servir au chauffage, et comme aucune des familles n’a de voiture motorisée, elles ne leur sert pas non plus comme carburant. Bref, la plante ne leur sert pas.
Les autorités prévoyaient faire la culture dans des terres dites « infertiles et dégradées », car on disait à l’époque que la plante nécessitait moins d’eau et pouvait pousser presque n’importe où. Le problème est qu’un grand nombre de régions que l’on disait arides et semi-arides étaient en fait habités et exploités par des communautés locales et autochtones. On a souvent fait usage de force à l’endroit de populations vulnérables, violant ainsi leur droit à la subsistance.
Il y a aussi toute la question de la disparition d’une culture humaine. Ces gens vivaient de la terre depuis au moins des décennies, peut-être même des siècles. En leur arrachant la terre et le droit de s’en servir pour vivre, on met fin à une véritable tradition. Ce n’est pas le prix de la modernité, car la modernité permet d’améliorer la production sans mettre en péril un mode de vie. Dans ce cas-ci, le mode de vie a été carrément chambardé parce que d’autres y voyaient une occasion de faire beaucoup d’argent.
Or, le comble est que l’expérience semble vouée à un certain échec. Oui, la plante peut pousser dans des terres moins fertiles, mais son rendement n’est pas à la hauteur des attentes. « Il ne s’agit pas d’une culture friche. Il lui faut de l'engrais, de l'eau et une bonne gestion », peut-on lire à son égard dans un autre reportage sur Internet.
Dans le même reportage, on parlait de Sénégalais qui faisaient la pêche au large des côtes du pays. Le seul outil moderne du pêcheur sénégalais était un moteur hors-bord. Mais la pêche n’était pas tellement abondante en raison des grands navires de pêche provenant d’autres pays et ayant les moyens de prendre plus de poissons à la fois. Lorsque la prochaine génération aura atteint la maturité, restera-t-il quelqu’un pour apprendre aux jeunes comment pêcher selon cette méthode traditionnelle? Le cas échéant, restera-t-il du poisson?
mardi 2 novembre 2010
Qui perd sa foi
Qui perd sa langue perd sa foi, nous dit-on. Mais que dire des gens qui ont perdu la foi tout en maintenant la langue?
Les lecteurs réguliers connaissent ma pensée concernant l'existence d'un être suprême. Bref, je n'y crois pas. Or, le contexte franco-acadien du Nouveau-Brunswick fait en sorte que la religion se mêlait facilement à cet enseignement général qui, selon une toute nouvelle Charte des droits et des libertés, devait être neutre sur le plan religieux, du moins selon la jurisprudence.
Sans que cela ne me plaise, je comprends quand même le fondement historique de cette coexistence. Comme au Québec, l'enseignement en français au Nouveau-Brunswick a été longtemps l'affaire des religieux et des religieuses. S'il y avait sans doute l'espoir de recruter quelques serviteurs de plus pour l'Église, il y avait aussi, surtout pour les prêtres et nonnes qui étaient originaires de la province, un désir de voir au développement de la société acadienne. Et qui dit développement socioéconomique dit éducation.
Avant 1872, l'éducation des jeunes se trouvait dans un état lamentable dans la province en général et chez les Acadiens en particulier. Pendant quelques années, un ministre provincial, George Edwin King, mènera un mouvement pour changer les choses. Il préconise un système d'écoles publiques non confessionnelles pour remplacer les écoles séparées (donc, religieuses) qui existaient alors. L'éducation serait gratuite, c'est-à-dire, payé à même les fonds publics, et elle serait offerte à tous sans égard à la langue, la religion, le sexe et la situation économique de la famille de l'élève.
Or, le système des écoles séparées permettait aux quelques Acadiens qui se faisaient éduquer de recevoir une éducation qui était non seulement conforme à leur foi, la religion catholique romaine, mais aussi dans leur langue, le français. Les catholiques anglophones, bien que généralement peu enclins à soutenir la cause française, voulaient quand même conserver leurs écoles séparées. Devant ce manque de soutien pour les écoles non confessionnelles, M. King retire d'abord son projet de loi.
Cependant, quand il est devenu chef du comité exécutif provincial (aujourd'hui, nous l'appellerions le premier ministre), M. King est revenu à la charge avec un projet de loi semblable et fait face à la même opposition au public et chez bon nombre de députés. Il a fallu, en bout de ligne, offrir des postes alléchants à deux opposants afin qu'ils se rangent du côté de l'administration pour que la Common Schools Act soit enfin adoptée. (Le bilinguisme officiel n'existait pas à l'époque. D'autres parleront de la Loi des écoles communes ou tout simplement de la Loi scolaire de 1871. La Loi est entrée en vigueur en 1872.)
Cette nouvelle loi interdisait la présence de tout emblème religieux dans l'édifice scolaire, ainsi que le port de l'habit religieux par les enseignants membres d'ordres religieux. En plus, les personnes qui voulaient quand même que leurs enfants fréquentent une école religieuse devaient payer deux fois, soit la taxe imposée par le gouvernement pour l'éducation publique, même si leur enfant ne fréquentait pas l'école, et les droits de scolarité de l'établissement non public. Si cela peut nous paraître normal aujourd'hui, ce n'était pas le cas au cours des années 1870.
Au cours des quelques années qui suivront, les catholiques, encouragés par leurs chefs spirituels, manifesteront contre cette loi de diverses façons,. En 1875, un événement tragique survient. À la suite d'une manifestation devant la maison d'un membre du comité exécutif provincial, on dépêche des miliciens à Caraquet. Réunis dans une maison pour discuter des événements, certains Acadiens se cachent dans le grenier en voyant l'arrivée de la milice. Dans les minutes qui suivront, deux personnes trouveront la mort, soit un milicien, John Gilford, et un Acadien, Louis Mailloux. Si le nom du milicien reste aujourd'hui peu connu, celui de l'Acadien est maintenant porté par une école à Caraquet.
Voulant éviter que de tels événements ne se répètent, et craignant peut-être aussi des réactions du reste du pays, l'administration provinciale offre un compromis. Le port de l'habit religieux est permis et la catéchèse pourra être enseignée à l'école en dehors des heures officielles d'instruction. Ce compromis sera accepté par le clergé qui encouragera alors ses ouailles à payer les taxes qui s'imposent et à y envoyer leurs enfants.
Qu'en est-il alors de l'éducation en français? Cette question fera l'objet d'un autre combat que les Acadiens devront mener séparément, et souvent sans l'aide du clergé de l'époque.
En 1867, l'année de la Confédération canadienne, la population acadienne vivait en marge de la société. Certains Acadiens étaient devenus marchands et on dénombrait quelques prêtres dans les deux diocèses d'alors, soit Saint John et Chatham. On attendait encore l'arrivée d'avocats et de médecins. Les Anglais contrôlaient le commerce et le gouvernement.
Quant au clergé, les échelons supérieurs de l'Église catholique au Nouveau-Brunswick étaient occupés par des Irlandais anglophones. Dans son ouvrage, Un siècle de revendications scolaires au Nouveau-Brunswick, 1871-1971, l'auteur Alexandre-J. Savoie nous présente un extrait d'une lettre du fondateur du Moniteur Acadien, Israël J. D. Landry, à l'historien Rameau de Saint-Père :
Devant une telle opposition, il aurait peut-être été tentant de faire un pied de nez au clergé. Mais l'Église jouait un rôle tellement prépondérant à l'époque que cela aurait été impensable. Donc, avec l'aide de quelques membres du clergé sympathiques à la cause, les Acadiens ont travaillé pendant de nombreuses années à l'acadianisation du clergé, afin d'avoir un coin d'Église qui leur ressemblait. Sur ce plan, ils ont réussi.
Aujourd'hui, la société acadienne n'est plus ce qu'elle était. Ce peuple sans territoire défini faisait souvent valoir deux caractéristiques jugées immuables : la langue française et la foi catholique romaine. Or, l'Église a perdu des plumes au cours des dernières décennies, peut-être moins en Acadie qu'au Québec, mais le phénomène y est quand même. Un grand nombre d'Acadiens ne sont plus régis par l'Église, mais ils continuent d'afficher un grand attachement à la langue française.
Certains continuent de fréquenter l'Église par respect pour la tradition. Mais il est possible de respecter le passé sans pour autant y vivre. Nous ne sommes plus à l'époque des voitures à cheval et des encriers. Les Acadiens vivent aujourd'hui à l'ère des automobiles et des ordinateurs. L'Acadie, en tant que nation, peut en faire autant.
Les lecteurs réguliers connaissent ma pensée concernant l'existence d'un être suprême. Bref, je n'y crois pas. Or, le contexte franco-acadien du Nouveau-Brunswick fait en sorte que la religion se mêlait facilement à cet enseignement général qui, selon une toute nouvelle Charte des droits et des libertés, devait être neutre sur le plan religieux, du moins selon la jurisprudence.
Sans que cela ne me plaise, je comprends quand même le fondement historique de cette coexistence. Comme au Québec, l'enseignement en français au Nouveau-Brunswick a été longtemps l'affaire des religieux et des religieuses. S'il y avait sans doute l'espoir de recruter quelques serviteurs de plus pour l'Église, il y avait aussi, surtout pour les prêtres et nonnes qui étaient originaires de la province, un désir de voir au développement de la société acadienne. Et qui dit développement socioéconomique dit éducation.
Avant 1872, l'éducation des jeunes se trouvait dans un état lamentable dans la province en général et chez les Acadiens en particulier. Pendant quelques années, un ministre provincial, George Edwin King, mènera un mouvement pour changer les choses. Il préconise un système d'écoles publiques non confessionnelles pour remplacer les écoles séparées (donc, religieuses) qui existaient alors. L'éducation serait gratuite, c'est-à-dire, payé à même les fonds publics, et elle serait offerte à tous sans égard à la langue, la religion, le sexe et la situation économique de la famille de l'élève.
Or, le système des écoles séparées permettait aux quelques Acadiens qui se faisaient éduquer de recevoir une éducation qui était non seulement conforme à leur foi, la religion catholique romaine, mais aussi dans leur langue, le français. Les catholiques anglophones, bien que généralement peu enclins à soutenir la cause française, voulaient quand même conserver leurs écoles séparées. Devant ce manque de soutien pour les écoles non confessionnelles, M. King retire d'abord son projet de loi.
Cependant, quand il est devenu chef du comité exécutif provincial (aujourd'hui, nous l'appellerions le premier ministre), M. King est revenu à la charge avec un projet de loi semblable et fait face à la même opposition au public et chez bon nombre de députés. Il a fallu, en bout de ligne, offrir des postes alléchants à deux opposants afin qu'ils se rangent du côté de l'administration pour que la Common Schools Act soit enfin adoptée. (Le bilinguisme officiel n'existait pas à l'époque. D'autres parleront de la Loi des écoles communes ou tout simplement de la Loi scolaire de 1871. La Loi est entrée en vigueur en 1872.)
Cette nouvelle loi interdisait la présence de tout emblème religieux dans l'édifice scolaire, ainsi que le port de l'habit religieux par les enseignants membres d'ordres religieux. En plus, les personnes qui voulaient quand même que leurs enfants fréquentent une école religieuse devaient payer deux fois, soit la taxe imposée par le gouvernement pour l'éducation publique, même si leur enfant ne fréquentait pas l'école, et les droits de scolarité de l'établissement non public. Si cela peut nous paraître normal aujourd'hui, ce n'était pas le cas au cours des années 1870.
Au cours des quelques années qui suivront, les catholiques, encouragés par leurs chefs spirituels, manifesteront contre cette loi de diverses façons,. En 1875, un événement tragique survient. À la suite d'une manifestation devant la maison d'un membre du comité exécutif provincial, on dépêche des miliciens à Caraquet. Réunis dans une maison pour discuter des événements, certains Acadiens se cachent dans le grenier en voyant l'arrivée de la milice. Dans les minutes qui suivront, deux personnes trouveront la mort, soit un milicien, John Gilford, et un Acadien, Louis Mailloux. Si le nom du milicien reste aujourd'hui peu connu, celui de l'Acadien est maintenant porté par une école à Caraquet.
Voulant éviter que de tels événements ne se répètent, et craignant peut-être aussi des réactions du reste du pays, l'administration provinciale offre un compromis. Le port de l'habit religieux est permis et la catéchèse pourra être enseignée à l'école en dehors des heures officielles d'instruction. Ce compromis sera accepté par le clergé qui encouragera alors ses ouailles à payer les taxes qui s'imposent et à y envoyer leurs enfants.
Qu'en est-il alors de l'éducation en français? Cette question fera l'objet d'un autre combat que les Acadiens devront mener séparément, et souvent sans l'aide du clergé de l'époque.
En 1867, l'année de la Confédération canadienne, la population acadienne vivait en marge de la société. Certains Acadiens étaient devenus marchands et on dénombrait quelques prêtres dans les deux diocèses d'alors, soit Saint John et Chatham. On attendait encore l'arrivée d'avocats et de médecins. Les Anglais contrôlaient le commerce et le gouvernement.
Quant au clergé, les échelons supérieurs de l'Église catholique au Nouveau-Brunswick étaient occupés par des Irlandais anglophones. Dans son ouvrage, Un siècle de revendications scolaires au Nouveau-Brunswick, 1871-1971, l'auteur Alexandre-J. Savoie nous présente un extrait d'une lettre du fondateur du Moniteur Acadien, Israël J. D. Landry, à l'historien Rameau de Saint-Père :
Il me serait impossible de vous dire toutes les tracasseries dont j'ai été l'objet depuis que j'ai commencé la publication d'un journal acadien. Le clergé irlandais (des comtés de Westmorland et Kent) s'écrie publiquement dans les églises que « M. Landry est venu diviser les catholiques français d'avec les Irlandais, Écossais, etc… » Voici : on craint que les pauvres Acadiens s'instruisent et s'appliquent à conserver leur langue. Le clergé irlandais (qui a perdu sa propre langue) dit qu'il ne doit avoir qu'une seule langue dans ce pays, et c'est l'anglais.
Devant une telle opposition, il aurait peut-être été tentant de faire un pied de nez au clergé. Mais l'Église jouait un rôle tellement prépondérant à l'époque que cela aurait été impensable. Donc, avec l'aide de quelques membres du clergé sympathiques à la cause, les Acadiens ont travaillé pendant de nombreuses années à l'acadianisation du clergé, afin d'avoir un coin d'Église qui leur ressemblait. Sur ce plan, ils ont réussi.
Aujourd'hui, la société acadienne n'est plus ce qu'elle était. Ce peuple sans territoire défini faisait souvent valoir deux caractéristiques jugées immuables : la langue française et la foi catholique romaine. Or, l'Église a perdu des plumes au cours des dernières décennies, peut-être moins en Acadie qu'au Québec, mais le phénomène y est quand même. Un grand nombre d'Acadiens ne sont plus régis par l'Église, mais ils continuent d'afficher un grand attachement à la langue française.
Certains continuent de fréquenter l'Église par respect pour la tradition. Mais il est possible de respecter le passé sans pour autant y vivre. Nous ne sommes plus à l'époque des voitures à cheval et des encriers. Les Acadiens vivent aujourd'hui à l'ère des automobiles et des ordinateurs. L'Acadie, en tant que nation, peut en faire autant.
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