mardi 2 novembre 2010

Qui perd sa foi

Qui perd sa langue perd sa foi, nous dit-on. Mais que dire des gens qui ont perdu la foi tout en maintenant la langue?

Les lecteurs réguliers connaissent ma pensée concernant l'existence d'un être suprême. Bref, je n'y crois pas. Or, le contexte franco-acadien du Nouveau-Brunswick fait en sorte que la religion se mêlait facilement à cet enseignement général qui, selon une toute nouvelle Charte des droits et des libertés, devait être neutre sur le plan religieux, du moins selon la jurisprudence.

Sans que cela ne me plaise, je comprends quand même le fondement historique de cette coexistence. Comme au Québec, l'enseignement en français au Nouveau-Brunswick a été longtemps l'affaire des religieux et des religieuses. S'il y avait sans doute l'espoir de recruter quelques serviteurs de plus pour l'Église, il y avait aussi, surtout pour les prêtres et nonnes qui étaient originaires de la province, un désir de voir au développement de la société acadienne. Et qui dit développement socioéconomique dit éducation.

Avant 1872, l'éducation des jeunes se trouvait dans un état lamentable dans la province en général et chez les Acadiens en particulier. Pendant quelques années, un ministre provincial, George Edwin King, mènera un mouvement pour changer les choses. Il préconise un système d'écoles publiques non confessionnelles pour remplacer les écoles séparées (donc, religieuses) qui existaient alors. L'éducation serait gratuite, c'est-à-dire, payé à même les fonds publics, et elle serait offerte à tous sans égard à la langue, la religion, le sexe et la situation économique de la famille de l'élève.

Or, le système des écoles séparées permettait aux quelques Acadiens qui se faisaient éduquer de recevoir une éducation qui était non seulement conforme à leur foi, la religion catholique romaine, mais aussi dans leur langue, le français. Les catholiques anglophones, bien que généralement peu enclins à soutenir la cause française, voulaient quand même conserver leurs écoles séparées. Devant ce manque de soutien pour les écoles non confessionnelles, M. King retire d'abord son projet de loi.

Cependant, quand il est devenu chef du comité exécutif provincial (aujourd'hui, nous l'appellerions le premier ministre), M. King est revenu à la charge avec un projet de loi semblable et fait face à la même opposition au public et chez bon nombre de députés. Il a fallu, en bout de ligne, offrir des postes alléchants à deux opposants afin qu'ils se rangent du côté de l'administration pour que la Common Schools Act soit enfin adoptée. (Le bilinguisme officiel n'existait pas à l'époque. D'autres parleront de la Loi des écoles communes ou tout simplement de la Loi scolaire de 1871. La Loi est entrée en vigueur en 1872.)

Cette nouvelle loi interdisait la présence de tout emblème religieux dans l'édifice scolaire, ainsi que le port de l'habit religieux par les enseignants membres d'ordres religieux. En plus, les personnes qui voulaient quand même que leurs enfants fréquentent une école religieuse devaient payer deux fois, soit la taxe imposée par le gouvernement pour l'éducation publique, même si leur enfant ne fréquentait pas l'école, et les droits de scolarité de l'établissement non public. Si cela peut nous paraître normal aujourd'hui, ce n'était pas le cas au cours des années 1870.

Au cours des quelques années qui suivront, les catholiques, encouragés par leurs chefs spirituels, manifesteront contre cette loi de diverses façons,. En 1875, un événement tragique survient. À la suite d'une manifestation devant la maison d'un membre du comité exécutif provincial, on dépêche des miliciens à Caraquet. Réunis dans une maison pour discuter des événements, certains Acadiens se cachent dans le grenier en voyant l'arrivée de la milice. Dans les minutes qui suivront, deux personnes trouveront la mort, soit un milicien, John Gilford, et un Acadien, Louis Mailloux. Si le nom du milicien reste aujourd'hui peu connu, celui de l'Acadien est maintenant porté par une école à Caraquet.

Voulant éviter que de tels événements ne se répètent, et craignant peut-être aussi des réactions du reste du pays, l'administration provinciale offre un compromis. Le port de l'habit religieux est permis et la catéchèse pourra être enseignée à l'école en dehors des heures officielles d'instruction. Ce compromis sera accepté par le clergé qui encouragera alors ses ouailles à payer les taxes qui s'imposent et à y envoyer leurs enfants.
Qu'en est-il alors de l'éducation en français? Cette question fera l'objet d'un autre combat que les Acadiens devront mener séparément, et souvent sans l'aide du clergé de l'époque.

En 1867, l'année de la Confédération canadienne, la population acadienne vivait en marge de la société. Certains Acadiens étaient devenus marchands et on dénombrait quelques prêtres dans les deux diocèses d'alors, soit Saint John et Chatham. On attendait encore l'arrivée d'avocats et de médecins. Les Anglais contrôlaient le commerce et le gouvernement.

Quant au clergé, les échelons supérieurs de l'Église catholique au Nouveau-Brunswick étaient occupés par des Irlandais anglophones. Dans son ouvrage, Un siècle de revendications scolaires au Nouveau-Brunswick, 1871-1971, l'auteur Alexandre-J. Savoie nous présente un extrait d'une lettre du fondateur du Moniteur Acadien, Israël J. D. Landry, à l'historien Rameau de Saint-Père :

Il me serait impossible de vous dire toutes les tracasseries dont j'ai été l'objet depuis que j'ai commencé la publication d'un journal acadien. Le clergé irlandais (des comtés de Westmorland et Kent) s'écrie publiquement dans les églises que « M. Landry est venu diviser les catholiques français d'avec les Irlandais, Écossais, etc… » Voici : on craint que les pauvres Acadiens s'instruisent et s'appliquent à conserver leur langue. Le clergé irlandais (qui a perdu sa propre langue) dit qu'il ne doit avoir qu'une seule langue dans ce pays, et c'est l'anglais.

Devant une telle opposition, il aurait peut-être été tentant de faire un pied de nez au clergé. Mais l'Église jouait un rôle tellement prépondérant à l'époque que cela aurait été impensable. Donc, avec l'aide de quelques membres du clergé sympathiques à la cause, les Acadiens ont travaillé pendant de nombreuses années à l'acadianisation du clergé, afin d'avoir un coin d'Église qui leur ressemblait. Sur ce plan, ils ont réussi.

Aujourd'hui, la société acadienne n'est plus ce qu'elle était. Ce peuple sans territoire défini faisait souvent valoir deux caractéristiques jugées immuables : la langue française et la foi catholique romaine. Or, l'Église a perdu des plumes au cours des dernières décennies, peut-être moins en Acadie qu'au Québec, mais le phénomène y est quand même. Un grand nombre d'Acadiens ne sont plus régis par l'Église, mais ils continuent d'afficher un grand attachement à la langue française.

Certains continuent de fréquenter l'Église par respect pour la tradition. Mais il est possible de respecter le passé sans pour autant y vivre. Nous ne sommes plus à l'époque des voitures à cheval et des encriers. Les Acadiens vivent aujourd'hui à l'ère des automobiles et des ordinateurs. L'Acadie, en tant que nation, peut en faire autant.

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