L'objectif est de faire en sorte que tous les immigrants qui s’établissent au Québec envoient leurs enfants à l'école française. En raison d’une échappatoire, certaines personnes dont les enfants ne sont pas normalement admissibles à l'enseignement en anglais au Québec envoyaient leurs enfants à des écoles anglaises privées pour un an. Après cela, les enfants étaient admis dans les écoles publiques anglaises. Le gouvernement provincial a adopté une loi pour mettre fin à cette pratique, mais la loi a été déclarée inconstitutionnelle. Plutôt que d'utiliser la « clause nonobstant », tel qu’il est prévu dans la Charte des droits et des libertés, le gouvernement du Québec a récemment choisi d'adopter le projet de loi 115, qui établit des critères plus sévères pour l’admission des enfants à l'école anglaise de cette manière.
Voilà pour la mise en contexte. Passons à mon commentaire :
On a toujours dit aux écrivains en herbe qu’il valait mieux écrire à propos de ce que l’on connait. Tasha Kheiriddin est Montréalaise, donc Québécoise, et devrait alors connaître le Québec et son système d’éducation. Mais on dirait que ce ne soit pas le cas. Un éditorial du National Post signé par Mme Kheiriddin et intitulé Quebec chooses language purity over prosperity (« le Québec préfère la pureté linguistique à la prospérité ») en est un bon exemple. En voici un extrait que j’ai pris la liberté de traduire :
« Mais quand il est question des enfants, les choses changent. Les parents veulent préparer leurs enfants à se mesurer au monde, et non seulement à la province. Si leurs enfants ont déjà été éduqués ailleurs en anglais, les placer à l'école française pourrait avoir des conséquences non seulement pour leurs compétences linguistiques, mais aussi pour leurs notes dans toutes les matières. Sachant à quel point la plupart des immigrants valorisent l'éducation, c'est un risque que beaucoup ne veulent pas prendre. Et pour les immigrants qui proviennent d’ailleurs au Canada et qui s’établissent au Québec, il est carrément discriminatoire qu’ils puissent se déplacer à l’intérieur de leur nouveau pays mais qu’ils ne peuvent pas ensuite inscrire leurs enfants à l’école dans la langue de leur choix. »
Contrairement à Mme Kheiriddin, je ne suis pas Québécois et mes connaissances sur le Québec sont limitées. Mais en cette belle époque d’Internet, les renseignements sont plutôt faciles à obtenir afin de pouvoir avoir l’heure juste sur une question. Dans ce cas, j’ai consulté une page Internet du gouvernement québécois qui porte sur la question de l’éducation, et j’y ai trouvé les règles décrites ci-dessus. Évidemment, la question de la citoyenneté canadienne est alors d’une importance capitale. Comme pour bien des choses, la citoyenneté entraîne des privilèges. Bien des immigrants restent longtemps des résidants permanents avant d’obtenir la citoyenneté. Si le déménagement du parent au Québec est inévitable pour des raisons d’emploi ou autre, il est vrai que cela puisse avoir des conséquences pour l’éducation de l’enfant.
Et pourtant, il s’agit là d’une vision plutôt bornée. Combien d’enfants anglophones du Canada resteront unilingues parce qu’ils n’ont pas la chance de côtoyer des francophones et de recevoir une éducation en français? Je veux bien comprendre que l’on n’aime pas que le rendement scolaire souffre lorsqu’un déménagement dans une région de culture et de langues différentes est inévitable. Mais il faudrait alors faire le procès du système scolaire qui résume les apprentissages et les expériences éducatives à une série de notes. Lorsque l’on fait l’examen du rendement d’un employé, l’on ne parle pas seulement de choses quantifiables, comme le nombre de pneus posés ou de mots traduits. Il y a aussi les choses qui ne sont pas quantifiables, comme les relations avec les clients et les collègues de travail, et la capacité de régler des problèmes. On pourrait bien faire la même chose à l’école, non?
Mais revenons au sujet…
Que veut dire Tasha Kheiriddin lorsqu’elle écrit que les immigrants qui arrivent au Québec d’une autre région du Canada ne peuvent pas faire éduquer leurs enfants dans la langue de leur choix? Pour Mme Kheiriddin, « langue de leur choix » est un code qui signifie « anglais ». Sinon, il y aurait sûrement eu des écoles publiques polonaises et russes en Ontario, et des écoles ukrainiennes au Manitoba. Car, si les immigrants de la France arrivent en Alberta ou en Ontario, Mme Kheiriddin sera sans doute ravie de leur offrir l’occasion de s’éduquer en anglais.
Dans bon nombre de provinces, n’entre pas qui le veut à l’école française. Au Nouveau-Brunswick, pour qu’une élève puisse être inscrite à l’école française, elle doit être francophone, avoir un parent francophone, ou être ni francophone ni anglophone. Dans d’autres provinces, les critères pourraient être encore plus restrictifs. Alors, pourquoi s’indigner du fait que le Québec applique le même principe à l’égard de l’anglais?
Et pourquoi une éducation en français ne permet-elle pas aux enfants de faire face au monde? Croit-elle que l’éducation en français est inférieure à l’éducation anglaise? Pourquoi? Et de quelle façon?
L’idée principale de l’éditorial est que le projet de loi 115 qui a été adopté tout récemment a des failles. Là-dessus, même les francophones sont d’accord, bien que ce soit pour des raisons différentes. Mais Mme Kheiriddin s’insurge contre la création d’un autre niveau de bureaucratie pour appliquer une loi qui, à son avis, fait savoir aux personnes non francophones qu’elles ne sont pas les bienvenues au Québec. Que l’on n’aime pas la bureaucratie au Québec, on a le droit. Que l’on suppose qu’une nouvelle loi entraînera automatiquement une nouvelle bureaucratie, on a le droit aussi, bien qu’il faille ensuite le prouver. Que l’on dise que cela signifie que les nouveaux arrivants ne sont pas les bienvenus s’ils ne parlent pas le français, c’est autre chose. Le Canada impose, comme condition d’entrée au pays, que les immigrants connaissent l’une ou l’autre des deux langues officielles ou s’engagent à apprendre l’une d’elles. Si le Canada peut imposer une telle condition, pourquoi le Québec ne peut-il pas imposer des conditions concernant les écoles publiques?
Plus loin, Mme Kheiriddin se plaint de l’infrastructure municipale qui se dégrade et les temps d’attente dans les hôpitaux qui n’en finissent plus. Elle est d’avis qu’il serait mieux d’investir l’argent qui servira à l’application de la Loi 115 à améliorer l’infrastructure et à régler le problème des temps d’attente. Mais ce n’est pas seulement le Québec qui est aux prises avec de tels problèmes. Que devrait éliminer le gouvernement ontarien afin d’améliorer enfin l’infrastructure municipale d’Ottawa et de Toronto?
Mme Kheiriddin décrit cela comme étant une préférence de la pureté linguistique aux dépens de la prospérité économique. (Il faudrait, d’ailleurs, définir « pureté linguistique », mais passons…) Ce qu’elle ne dit pas c’est pourquoi l’une doit nécessairement empêcher l’autre. L’éditorialiste ne semble pas accepter la possibilité que les deux puissent coexister et même être complémentaires. Elle dit aussi que le Québec se prive de jeunes immigrants en appliquant sa politique linguistique à une époque où la population est vieillissante. Que dire alors de l’Espagne, du Mexique, de la Suède, de l’Allemagne, de l’Italie, du Brésil? Si l’on déménage dans un nouveau pays, il faut bien apprendre la langue en usage. Et si l’on déménage dans une nouvelle province, il faut bien apprendre la langue en usage dans cette région également.
Enfin, elle s’insurge contre les paiements de péréquation que reçoit le Québec malgré sa politique linguistique. Elle dit que les garderies à sept dollars par jour et le service de fertilisation in vitro gratuite sont offertes seulement parce que le Québec reçoit ces paiements. Or, si c’était une province anglophone qui appliquait une version anglaise de la Charte de la langue française et qui offrait des services de garde à sept dollars par jour, est-ce qu’elle fustigerait cette province aussi?
Les deux solitudes existent toujours. Et certaines personnes et institutions semblent décidées à assurer leur existence.
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