Une femme de Moncton, au Nouveau-Brunswick (Canada), est disparue pendant 27 jours. Alors que l’on craignait le pire, elle a été retrouvée dans une rue de la ville et rapidement remise à la police. Plus tard dans la journée, un dénommé Roméo Jacques Cormier a été arrêté, et le lendemain, il a été accusé de nombreux actes criminels, y compris un chef d'agression sexuelle.
Avant sa comparution, le nom de l'accusé était inconnu, mais le nom de la femme enlevée était sur toutes les lèvres. Pendant des semaines, la police a reçu des renseignements possibles à son égard, et l’on a tout fait afin que les média gardent son nom et sa photo dans l’esprit du public. Lorsqu’il a été annoncé qu’on l’avait retrouvée vivante, toute la province poussé un soupir collectif de soulagement.
Mais nous ne verrons peut-être plus son nom dans la presse écrite ou électronique, car elle est la victime présumée d’une
« infraction d’ordre sexuel ». Le droit pénal canadien prévoit qu’un juge doit, dans un tel cas, rendre une ordonnance interdisant la publication du nom d'une victime ou toute information pouvant permettre de l’identifier, et ce sur demande, soit de la victime ou, dans ce cas, de la procureure.
Nous devrons donc parler de la victime comme Celle-qui-ne-doit-pas-être-identifiée. L'accusé doit répondre à des chefs d'enlèvement, de séquestration, de vol d'argent avec violence, de voies de fait avec un couteau, d'avoir proféré des menaces de mort, et – vous l'avez deviné – d'agression sexuelle. Il est maintenant nommé, mais même si Celle-qui-ne-doit-pas-être-identifiée ne doit plus être nommée, nous savons tous de qui il s’agit.
C’est presque routinier qu’un juge rende une telle ordonnance puisque cela vise à encourager les victimes d'agression sexuelle de porter plainte sans craindre que toute sa vie privée soit étalée sur la place publique, étant donné la nature de l’infraction. La plupart des victimes d'agression sexuelle n’ont jamais droit à une alerte publique d’une telle ampleur avant qu’elles n’échappent à leurs ravisseurs. Dans ces cas, une ordonnance pour empêcher l’identification de la victime a du sens. (Certaines personnes ne sont pas d'accord avec de telles pratiques, mais c'est alors toute une autre histoire.)
Toutefois, dans ce cas, on est en droit de se demander si l’on a réagi un peu fort. Sommes-nous censés oublier de qui il s’agit?
En fait, je viens de découvrir que certains média ont adopté une autre stratégie. Ils continuent d’écrire et de prononcer son nom, mais évitent toute allusion à l'agression sexuelle. On pourrait croire que la prétendue victime d'une agression sexuelle ne peut être identifiée par rapport au chef d’accusation. Si l'accusation n'est pas mentionnée dans les reportages, et que l’on ne parle aucunement d'agression sexuelle, l’identification de la victime est peut-être permise. Je dois avouer que pendant toutes mes années comme journaliste et, plus tard, comme passionné de l’actualité, je n'ai jamais imaginé un tel scénario. Autre point d'intérêt : Ceux qui continuent de nommer la victime sont des médias de langue française, tandis que les médias anglais parlent de l'agression sexuelle et doivent donc éviter de nommer la victime.
Pour ceux qui se posent la question, l’article du Code criminel du Canada portant sur les interdictions de publication dans les cas d'infractions sexuelles se trouve dans la partie XV, qui traite, entre autres, de « Pouvoirs généraux de certains fonctionnaires ». Selon la consolidation la plus récente, l’article portant sur une
« Ordonnance limitant la publication – infractions d’ordre sexuel » porte le numéro 486.4.
L’alinéa 486.4(1)b) porte sur une situation où il y a deux infractions ou plus dans le cadre de la même procédure, dont l’une est une infraction visée à l’alinéa précédent.
L’alinéa 486.4(1)a) énumère les différentes infractions pour lesquelles il peut y avoir une interdiction de publication. Je ne sais pas comment les médias peuvent se permettre de nommer la présumée victime puisque cette partie du Code semble assez clair en ce qui concerne deux infractions traitées lors d’une même procédure. Cela dit, le procès n'a pas encore lieu. Peut-être qu’à ce moment-ci, il est possible de s’en tirer sans sanctions.
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