Dans un message précédent, j’ai fait valoir que même si les camionneurs, les pêcheurs et les mineurs avaient choisi des domaines de travail dangereux, ils sont quand même respectés par l'ensemble de la société. Ce n’est pas le cas des travailleuses et travailleurs du sexe, qui font souvent l’objet de critiques en raison de leur choix de boulot. Nos perceptions jouent un rôle important dans la manière dont nous attribuons une valeur à certaines professions.
Récemment, deux professeures universitaires ont décidé de faire des recherches sur le secteur du travail du sexe au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Elles ont donc rencontré plus de 60 travailleuses et travailleurs du sexe à Saint-Jean et à Moncton, au Nouveau-Brunswick, ainsi qu’à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Plutôt que de leur demander : « Pourquoi avez-vous choisi de faire ce genre de travail? », ce qui peut être une question plutôt biaisée, on a demandé : « Qu'est-ce qui vous plaît dans ce travail? », et : « Qu’est-ce que vous n’aimez pas de ce travail? » Cela a permis d’obtenir une certaine ouverture de la part des personnes interrogées.
Les professeures ont aussi interviewé des policiers, des autorités municipales et régionales, des fournisseurs de soins de santé et d’autres fournisseurs de services. Une fois la compilation et l’analyse des données terminées, elles ont produit un ouvrage intitulé Sex Workers in the Maritimes Talk Back. Le livre offre tout au moins un aperçu intéressant de nos perceptions des femmes et des hommes qui œuvrent dans ce domaine.
Une grande partie de ce qui suit est basé sur un enregistrement d’une conférence prononcée par ces auteures qui peut être trouvé sur le site Web du Conseil consultatif sur la condition de la femme du Nouveau-Brunswick. Là où il est question de personnes interrogées, il est évidemment question des participants et des participantes à l’étude réalisée par les auteures.
Perception 1. La grande majorité des travailleuses et travailleurs du sexe travaillent sous la direction de proxénètes.
Réalité : Aucun des plus de soixante travailleuses et travailleurs du sexe interrogés ne travaillait pour un proxénète au moment de l'entrevue. Une des professeures a même indiqué que l'initiative de la police pour arrêter les proxénètes plutôt que les travailleuses et travailleurs du sexe est devenue problématique lorsque l’on ne trouvait pas de travailleuses ou de travailleurs affiliés à un proxénète.
Perception 2. Elles se servent de l’argent gagné pour acheter des drogues.
Réalité : Un grand nombre de personnes interrogées n’étaient pas toxicomanes.
Perception 3. C’est à la suite d’une série de mauvais choix ou en raison de circonstances exceptionnellement difficiles que ces personnes deviennent travailleuses et travailleurs du sexe.
Réalité : Cela suppose qu'elles n'avaient pas vraiment de choix et leur enlève toute possibilité d’autodétermination. Bien que ce ne soit probablement pas leur premier choix, certaines personnes préfèrent cette profession parce que le travail est très bien payé, les heures de travail sont flexibles et il n’y a aucun patron qui leur crie par la tête ou qui limite le nombre de fois que l’on peut téléphoner à la maison pour se renseigner sur l’état de santé de leur enfant ou d’un parent malade.
Perception 4. Elles n'avaient pas d'autre source de revenus.
Réalité : Nous supposons qu’elles étaient en manque de ressources, mais le problème n’est pas si facile à cerner. Celles qui avaient déjà vécu de l’assistance sociale sont d’avis que le travail du sexe est préférable parce que c’est moins humiliant et contraignant.
Perception 5. La prostitution est liée à la criminalité organisée.
Réalité : Cela pourrait être le cas dans certaines circonstances et dans certaines villes, mais pas dans les cas relatés dans le livre.
Perception 6. La prostitution est le résultat de la traite des personnes.
Réalité : Il est vrai qu’un grand nombre de personnes enlevées sont forcées par les ravisseurs à se prostituer, mais les personnes interrogées dans le cadre de l’étude n’ont pas fait l’objet d'enlèvements.
Perception 7. Pourquoi ces femmes ne prennent-elle pas un emploi au (nom d'un magasin populaire de beignes et de café)?
Réalité : ET VOUS? Allez donc travailler dans cet endroit, si cela vous le dit! Pourquoi bûcher de la sorte et se faire crier par la tête pour seulement huit dollars l'heure (ou le salaire minimum de votre région)?
Perception 8. La prostitution doit rester illégale parce que c'est tellement dangereux!
Réalité : La pêche, les mines, le camionnage, la construction et bien d’autres secteurs sont dangereux aussi. En fait, les infirmières sont agressées au moins aussi souvent que les travailleuses et travailleurs du sexe, si ce n’est pas plus souvent. Devrions-nous rendre illégal les soins infirmiers? En passant : Si une infirmière est tuée, tous les efforts sont faits pour trouver et punir les coupables. Si une travailleuse ou un travailleur du sexe est victime de meurtre, l'affaire devient rarement une priorité. N’oublions pas les meurtres de Robert Pickton.
Perception 9. Les travailleuses et travailleurs du sexe ne mènent pas une vie morale.
Réalité : Même si c’était vrai, cela donne-t-il au reste de la société le droit de les violer, de les battre et de les tuer? Est-ce que cela nous donne le droit de les enlever et de les laisser à une grande distance du centre-ville sans aucun moyen de rentrer à la maison? Doit-on les voir comme des ordures que l’on peut jeter sans autre considération?
Perception 10. Les travailleuses et travailleurs du sexe risquent leur santé et celle des autres en raison des maladies transmissibles sexuellement.
Réalité : Selon la perspective des professionnels de la santé, la prostitution présente un danger pour la santé et la sécurité en raison des maladies qui peuvent être propagées. Selon les travailleuses et travailleurs du sexe, le danger le plus immédiat qui les guette est la violence des clients. La police préfère arrêter les travailleurs et travailleuses du sexe que de les protéger. De plus, il arrive souvent que les professionnels des soins de la santé minimisent leurs problèmes de santé en raison de leur profession.
Perception 11. Pourquoi un autre livre sur la prostitution? Tout ce qu'il faut savoir, nous le savons déjà.
Réalité : Le point de vue des travailleuses et des travailleurs du sexe est rarement recherché ou pris en compte lors des études, des commissions royales d'enquête, de travaux de recherche universitaires et d'autres initiatives.
(Les publications officielles et banques terminologiques parlent de l’industrie du sexe, mais je trouve que ce terme ne traduit pas bien « sex work ». À mon avis, il y a une différence entre les expressions anglaises « sex work » et « sex industry », et il faut faire cette distinction en français.)
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