mercredi 23 mars 2011

Les femmes contre la censure

Certains livres ne vieillissent pas bien. Ils présentent les situations et les phénomènes de leur temps comme s'ils étaient éternels, tandis que d'autres font des prévisions qui, aujourd’hui, semblent risibles. Mais d’autres livres portent sur des situations de l’époque et appellent au changement et à la réforme. Bien des années plus tard, l’on peut voir ce qui a changé pour le mieux et ce qui reste encore à améliorer.

Dans le cas de Women Against Censorship (Les femmes contre la censure), paru en 1985, il y a un peu des deux. À l’époque, un grand nombre de voix s’élevaient contre la pornographie. Ces voix se trouvaient dans deux clans bien différents, celui des intégristes chrétiens opposés à toute forme de plaisir, et celui des féministes convaincues de la menace que présentait la pornographie pour la condition des femmes. Dans un camp opposé, il y avait ceux et celles qui s’opposaient à la censure, certains par simple respect du droit à la liberté d’expression et d’autres par crainte que la censure fasse taire les voix qui appellent à la réforme. Women Against Censorship s’inscrivait dans cette deuxième veine.

Le livre propose différents chapitres écrits par différentes personnes qui présentent généralement la même position, mais selon la perspective différente de chacune. À titre d’éditrice, Varda Burstyn était responsable de l’ensemble du projet. Le chapitre que j’ai toujours trouvé le plus intéressant était le dernier, qui était justement écrit par Mme Burstyn. Plutôt que de se limiter à la pornographie en soi, elle a lancé un appel pour une plus grande liberté d’expression sexuelle pour tous, une liberté qui, à son avis, passait par les œuvres culturelles et artistiques plutôt que par l’industrie du sexe, qu’elle qualifiait d’aliénante.

À la page 162, on pouvait lire l’extrait suivant que j’ai moi-même traduit :

Notamment, de nombreuses féministes craignent qu'en raison de l'hypersexualisation de notre culture, les filles ont perdu ce droit fondamental de vivre une expérience sexuelle selon leurs propres besoins et à leurs propres rythmes. S’il était difficile pour une fille de dire oui il y a 20 ans, il lui est plus difficile aujourd’hui de dire non.

Déjà en 1985, l’on craignait que la soi-disant autonomie sexuelle des adolescentes soit compromise par une culture qui valorisait davantage l’aspect sexuel des femmes que leurs autres talents. Quelle serait sa réflexion aujourd’hui en 2011? S’il y a eu quelques améliorations ici et là, il reste que l’hypersexualisation des filles demeure très présente. En 1985, l’idée même de l’éducation sexuelle soulevait l’ire dans certains milieux. C’est toujours le cas aujourd’hui, surtout depuis l’arrivée du SIDA, outil de promotion antisexuel par excellence.

En 1985, avant l’avènement de l’ordinateur personnel, tout passait par les musées, la radio, la télé, le cinéma, les journaux et les revues. Il était permis de croire que seules des lois bien rédigées pouvaient assurer la plus grande distribution possible des revues non commerciales et, ainsi, une plus grande circulation de la pluralité d’idées, de prises de position et de revendications. Au nom de la promotion sociale (« affirmative action »), l’on prônait aussi un financement gouvernemental des œuvres féministes et gais afin que ces personnes puissent jouir d’un milieu permettant de mieux nous éclairer sur la sexualité, sans craindre les représailles et autres conséquences négatives de la part des commanditaires du secteur privé. Enfin, on croyait même avoir droit à une chaîne de télé exploitée par et pour les femmes.

Comme les choses peuvent changer! Comment Mme Burstyn pouvait-elle savoir à l’époque qu’Internet changerait les règles du jeu pour toujours. Aujourd’hui, une chaîne de télé pour femmes serait une goutte d’eau dans un océan de possibilités médiatiques. Et si la pornographie était déjà très présente en 1985, elle l’est encore plus aujourd’hui, les frontières internationales n’ayant plus cours dans ce monde électronique. En fait, elle est tellement omniprésente qu’elle est devenue presque habituelle. Dans un tel climat, quelles seraient les solutions à apporter?

Dans le dernier chapitre, elle présente ses opinions sur le reste de l’industrie du sexe et sur la sexualité en général. Voici un extrait de la page 167 que j’ai traduit et reformulé sous forme de points :

Une approche féministe à l’égard de l'industrie du sexe doit veiller à ce que :

• les femmes ne soient plus victimes de violence en raison des mesures policières et des politiques sociales;

• l’on décourage la plus grande criminalisation des voisinages;

• l’on décourage l’accroissement des risques pour les femmes en tant que travailleuses de sexe;

• l’on réduise la clientèle de la pornographie sexiste et le marché du travail sexuel aliénant.

Cela signifie que nous devons satisfaire aux besoins des travailleuses du sexe en améliorant la qualité de vie professionnelle actuelle et en cherchant à créer de vraies options de rechange au travail du sexe aliénant.

Tout cela dit, je fais la mise en garde que les « spécialistes » oublient trop souvent de demander aux vraies travailleuses de s’exprimer à ces égards. Les auteures de Sex Workers in the Maritimes Talk Back font cette reproche dans leur ouvrage et ont cherché fort à présenter les points de vue des travailleurs et travailleuses de l’industrie du sexe. Si ce domaine reste marginalisé, cela ne signifie pas que ces personnes n’ont pas leur mot à dire. Elle peuvent même offrir des pistes de solution pour une meilleure coexistence avec le reste de la société.

Puisque le chapitre de Mme Burstyn ne vise pas à présenter un travail de recherche, il est difficile de savoir si ses renseignements sur le domaine proviennent de sources fiables. Tout de même, il est difficile de ne pas y voir un souhait sincère d’améliorer les choses. Plus loin sur la même page, elle écrit :

Bien que le problème soit difficile à résoudre, si les communautés travaillent en collaboration avec les prostituées, et si les prostituées peuvent travailler de façon indépendante et sans harcèlement, il sera possible de trouver une solution. Dans le cas des établissements commerciaux à caractère sexuel, des boîtes de nuit érotiques et d’autres endroits semblables, les lois qui touchent aux conditions de travail, au salaire minimum et à la syndicalisation devraient s'y appliquer, puisque seule une telle réglementation peut empêcher le plus grave des exploitations. (Ma traduction.)

Il y a une croyance très populaire voulant que l’activité sexuelle en échange d’un paiement soit, en soi, dégradant et aliénant. Tout emploi ordinaire serait préférable au travail sexuel. Mais parlez-en aux travailleuses qui ont déjà œuvré dans des cafés et des magasins de beignes où elles enduraient que les patrons leur crient à tue-tête en échange d’un salaire minimum. J’ai de la difficulté à croire que le travail du sexe serait préférable, mais ce n’est pas à moi de dire à la travailleuse que sa façon de penser est erronée.

Et reconnaissons tout de même que Mme Burstyn souhaite qu’on leur permette d’accéder à des emplois valorisants. À la page 168, elle ajoute : Si nous pensons que les rencontres sexuelles sont meilleures dans des conditions de libre-choix affective (sic) – et j’y crois à la fois émotionnellement et intellectuellement – nous devons alors chercher de véritables solutions au travail du sexe aliénant. Cela signifie que, conformément à un engagement plus général envers le plein emploi valorisant, nous devons exiger un soutien éducatif et économique pour les femmes qui veulent quitter ce domaine afin qu'elles puissent vivre en toute dignité sans difficultés économiques, tout en se préparant à de nouvelles façons de gagner sa vie. (Ma traduction.)

Or, la définition d’un emploi valorisant n’est pas universelle. De plus, comment savoir si les travailleuses de sexe ont choisi le domaine en dernier lieu? C’est sûrement le cas pour certaines, mais pas toutes. On semble croire que les travailleuses n’ont d’autre choix que d’accepter tous les clients et de satisfaire à toutes leurs demandes les plus humiliantes. Pourtant, les recherches montrent que les travailleuses ont l’habitude de dire non à certains clients et à certaines demandes qu’elles jugent inacceptables. Pour ce qui est de toujours avoir climat d’affection pour les rapports sexuels, il est fort à parier que même entre amoureux de longue date, l’affection en soi n’a pas toujours une place de choix quand vient le temps de faire « l’amour ». Parfois, le pur plaisir l’emporte sur l’affection.

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